Le miroir aux alouettes de la réindustrialisation

Dès la fin de la guerre froide il devint intéressant de confier des tâches productives à des régions du monde devenues accessibles et qui disposaient d’une abondante main d’œuvre bon marché. Les pays occidentaux se transformèrent en économies de services, plus rémunérateurs, tout en pensant rester maître de leurs technologies. Si les tâches industrielles migrèrent vers l’Asie, elles furent accompagnées par les savoir-faire, sans que l’on veuille se rendre compte de cette dépossession. Trois décennies plus tard, les dépendances sont inversées : le confort matériel s’importe désormais de là-bas et la maîtrise technologique n’est plus une chasse gardée.

L’approvisionnement du monde occidental dépend aujourd’hui de la performance d’une longue chaine logistique dont il ne contrôle plus ni les matières premières, ni les intermédiaires, ni les modes de production. Une optimisation de cette chaîne par flux tendu a rendu cet approvisionnement plus vulnérable, ce qui se révèle lors de la reprise qui fait suite à la récente pandémie. Un niveau de stock minimal fut vite épuisé du fait de l’interruption des productions. Il ne peut se reconstituer que de manière très lente alors que la reprise cause un surcroît de demande et que les capacités de production ne contiennent pas de réserve. Un sentiment de pénurie cause une hausse spectaculaire des prix d’à peu près toutes les matières premières, des biens manufacturés et de l’énergie. Un conflit déraisonnable et monstrueux qui surgit aux marches de l’Europe, ou un confinement sévère de Shanghai ne font qu’exacerber cette situation.

Cependant, il ne faut pas se leurrer : réindustrialiser l’Occident n’améliorera pas grand-chose. L’approvisionnement en matières premières et en énergie ne changera pas ; ces ressources resteront exploitées là où elles se trouvent, à l’avantage et sous contrôle des pays qui en disposent. Si l’on désire produire chez soi de manière plus flexible, cela créera des capacités excédentaires et diminuera l’efficience. Cela peut se justifier aux fins de la protection civile, des forces armées ou de l’entretien de certains stocks stratégiques. Cependant, ces inefficiences ne peuvent consister à recréer puis laisser chômer des ressources importantes comme des lits d’hôpitaux (équipes soignantes incluses), des fabriques de masques ou des usines chimiques. Les plans d’urgence, nécessaires, ne peuvent pas se transformer en mobilisation permanente dans l’attente de désastres imprévisibles. Les flux resteront donc tendus et pas moins exposés aux hoquets de l’économie et de la politique mondiale.

Il en va de même avec les pollutions qui sont concomitantes de l’industrie humaine. Il faudra donc accepter de relocaliser chez soi des risques pour la santé, la sûreté ou l’environnement. Ce sont des problèmes à aborder rationnellement, en renonçant à la précaution à tout prix, cette anxiété du riche se croyant parvenu et qui refuse l’idée même d’être incommodé.

Sous la pression des politiques climatiques, le secteur du gaz, pétrole et charbon a prématurément réduit ou cessé ses activités d’exploration et ne découvre plus de réserves importantes à mettre en exploitation. L’approvisionnement du monde en carburants fossiles – qui en dépend encore à 83% (l’Europe à 73%) – n’est bientôt plus assuré alors qu’ils restent indispensables pour procéder à la nécessaire décarbonation. Ces désinvestissements font la joie des marxistes verts de salon mais crée de nouvelles dépendances peu ragoûtantes envers des acteurs dont les structures sont inconnues et incontrôlables, à l’abri de régimes politiques pour le moins inquiétants. Les économistes du climat doivent réviser leurs grimoires devenus obsolètes car leurs taxes incitatives et autres certificats carbone sont dépassés par la rente fossile que contrôle un cartel de mieux en mieux discipliné.  

Ce monde réel et très matériel étonne et dérange. Des milliards de personnes sont sorties de la pauvreté et ont pu accéder à une prospérité qui pourtant échappe encore à beaucoup. Il faudrait être un vrai salaud pour s’en désoler, et un idiot à œillères pour ne relever que les problèmes qui accompagnent ce progrès, comme s’il était indésirable. La mondialisation est pourtant un phénomène irréversible, avec ses bienfaits et ses travers. Alors, même si une certaine réindustrialisation est recommandable, particulièrement pour des secteurs de pointe et hautement concurrentiels dont ni le paracétamol ni les masques chirurgicaux ne font partie, les interdépendances économiques ne seront que peu modifiées. C’est donc revitaliser plutôt que torpiller l’Organisation Mondiale du Commerce ainsi que renforcer la protection de la propriété intellectuelle qui sont nécessaires. Plutôt que procéder à une planification toujours erronée, il s’agit surtout de maintenir un cadre favorable aux investissements avec des infrastructures efficaces, un haut niveau de formation et des normes environnementales claires et stables.

Article publié le 24 mai dans Le Temps.


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1 thought on “Le miroir aux alouettes de la réindustrialisation”

  1. C’est la politique de gribouilles inspirée par les alarmistes qui entraîne la désindustrialisation. Elle est d’ailleurs le premier objectif cryptique (caché!) des pseudo-écologistes. Ils ont toutes les chances de réussir tant que l’idéologie anti-carbone reste dominante. Le deuxième objectif est le maintien des pays pauvres dans leur statut avec le secret espoir que leur démographie n’entraînera pas de diminution de l’emprise des pays riches.

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