Via Sicura, limites de la sécurité routière en Suisse.

Pour réduire le risque d’accident et par là même le nombre et la gravité des accidents on dispose de trois moyens d’ordre général :

  1. Éliminer un des contributeurs essentiels au risque.
    Ainsi l’absence de carburant, d’air ou de source d’énergie élimine le risque d’incendie.
    C’est la méthode la plus radicale mais hélas la moins praticable. Pour faire tourner un moteur à explosion il faut du carburant, de l’air et une étincelle ou du travail de compression comme source d’énergie. Ces composants étant présents le risque n’est éliminé que si l’on veut renoncer à l’usage du moteur.
  2. Réduire les conséquences d’un incident.
    Ainsi le port d’un casque de protection n’empêche pas les cailloux de tomber sur une tête, mais le traumatisme sera réduit.
  3. Réduire la probabilité d’occurrence de l’accident.
    Obliger un ouvrier d’appuyer avec les deux mains sur deux boutons séparés afin de permettre à une presse d’emboutir une tôle fait qu’il est moins probable, quoique toujours possible, que des doigts soient écrasés.

En matière de sécurité routière on ne sait pas éliminer les possibles causes sans arrêter le trafic, ce qui ne serait pas très populaire.

Il faut donc se contenter de réduire les conséquences d’un accident par des normes de construction des routes et des véhicules ainsi que par des limitations (vitesse, sens unique), et aussi de réduire la probabilité d’occurrence par des obligations (avoir passé son permis) et des restrictions de toutes sortes. D’ailleurs pour bien de ces mesures, la limitation de vitesse par exemple, il est en fait difficile de distinguer l’aspect de réduction de la gravité de celui de la baisse de la probabilité d’un accident, cela n’a pas d’importance tant que c’est efficace.

Régulièrement les préposés à la sécurité routière examinent les accidents et inventent des mesures nouvelles ou rendent plus sévères des mesures existantes afin de réduire le nombre de morts et de blessés victimes des accidents routiers.

Pour tout ce qui est d’ordre technique le grand public sait que les véhicules et les routes sont en constante amélioration et accueille ces progrès de manière positive. Par contre son attitude est différente lorsqu’il s’agit de restrictions sur la manière de conduire, particulièrement la vitesse et le taux d’alcoolémie tolérés.

Pour la vitesse il y a cependant un consensus assez général que les limitations sont nécessaires. Mais si elles sont absurdes, par exemple sur des tronçons de routes vastes et peu fréquentés, cela peut provoquer le conducteur à la faute. Si par-dessus le marché des radars sont placés à ces endroits-là une colère légitime ressortira contre un mercantilisme policier qui a peu à voir avec la prévention.

Pour sa part l’alcoolémie reste un thème constant d’actualité. En trente ans on est passé d’une éventuelle analyse de sang après un accident à des limitations du taux d’alcoolémie toléré, d’abord à 0.8‰ puis à 0.5‰, associées à des contrôles inopinés. Régulièrement il est même question d’abaisser cette limite à 0.2‰. Aujourd’hui une personne ayant plus de 0,8‰ d’alcool dans le sang est considérée comme criminelle, se voit retirer son permis et imposer une forte amende sans sursis. Entre 0.5 et 0.79 le tarif est moindre mais coûteux quand même. Le retrait de permis est perçu comme la plus grave sanction, bien que juridiquement il ne s’agisse que d’une « mesure administrative » alors qu’en fait il y a double peine, même si le Tribunal fédéral dit le contraire. Sans qu’on sache pourquoi un pickpocket ou un petit dealer de drogue sont traités de manière plus clémente.

Les soifeurs ne sont donc pas contents, les bistrotiers non plus. Mais il est généralement accepté qu’à partir d’un certain taux d’alcoolémie s’établit une plus haute probabilité d’accident. On peut aussi penser intuitivement que depuis que ces limites sont réglementées les taux d’alcoolémie mesurés lors de contrôles sont en très grand nombre bas, voire nuls, et que les taux élevés sont plus rares. Qu’en est-il réellement ?

En consultant les statistiques publiées par l’Office fédéral de la statistique et aussi en demandant poliment des détails à l’Office fédéral des routes les données sont les suivantes.

Nombre d’accidents en 2012

avec tués

avec blessés
graves
avec blessés
légers
Total

301

3’867

13’980

…avec la cause alcool (1101, 5101)

55

488

1’311

Cause alcool en % du total

18%

13%

9%

 

Lors d’accidents avec dommages corporel et en cas de soupçon il est d’usage de mesurer par prise de sang le taux d’alcoolémie des conducteurs ou autres personnes impliquées. Les résultats en 2012 ont été les suivants :

Taux d’alcoolémie

dans des accidents mortels
dans des accidents
avec blessés graves
dans des accidents
avec blessés légers
0
62
190
84
0.01 – 0.20
1
6
10
0.21 – 0.50
3
17
15
0.51 – 0.80
4
25
55
0.81 – 1.10
6
53
125
1.11 – 1.40
6
80
156
1.41 – 1.70
7
66
174
> 1.70
17
114
292
taux inconnu
31
118
282
Total
137
669
1193

 

 

Note 1 : les deux tableaux ci-dessus traitent du même sujet mais pas des mêmes grandeurs. Dans le premier il s’agit du nombre d’accidents (et non du nombre de morts ou de blessés) et dans le deuxième il s’agit de résultats prise de sang sur des personnes impliquées, blessées ou non, dans des accidents. Le « taux inconnu » doit signifier que l’analyse n’a pas été faite ou que le résultat n’était pas concluant (p. ex. fait trop tard).

Note 2 : on ne connait pas le taux d’alcoolémie des conducteurs qui n’ont pas d’accidents. Les contrôles inopinés sont rares et faits par une méthode moins précise dont les résultats ne sont pas publiés.

Note 3 : si un taux d’alcoolémie non nul est mesuré dans le sang d’une personne impliquée dans un accident cela ne veut pas automatiquement signifier que c’est l’alcool qui est la cause primordiale de l’accident, même si ce soupçon augmente avec la hauteur du taux mesuré.

Le deuxième tableau peut être représenté de la manière graphique suivante :
(« taux inconnu » omis)

alcoolemie-accidents

Ces résultats sont assez étonnants car, contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre, les taux mesurés ne sont pas en majorité bas et par exception élevés, mais c’est l’inverse. Il y a beaucoup de personnes totalement sobres, peu légèrement sous influence, et beaucoup sous forte voire très forte influence qui sont impliquées dans des accidents.

On voit aussi que la limite légale de 0.5‰ n’est pas dissuasive pour les buveurs invétérés car en grande majorité ils passent cette limite d’une forte marge.

On peut alors se poser la question prospective de quel pourrait être l’impact sur la diminution des accidents si l’on abaissait encore le taux toléré de 0.5‰ à 0.2‰. On peut aussi se poser la question de l’efficacité qui a résulté de l’abaissement de 0.8‰ à 0.5‰.

Ce sont des questions hypothétiques pour lesquelles les chiffres ci-dessus ne permettent pas d’apporter des réponses simples. Mais il parait cependant clair que les problèmes liés à l’alcool au volant ne se produisent que peu autour des limites légales et qu’ils arrivent plutôt lors d’infractions sévères. En matière de prévention cela signifie aussi qu’une criminalisation en dessous des 0.5‰ ne permettrait pas de diminuer de manière significative les risques d’accident. Ce qui est par contre certain c’est que, au vu des statistiques présentées ici, cela augmenterait l’incompréhension des gens.

Il reste à savoir comment faut-il faire pour que les personnes manifestement saoules ne se mettent pas au volant alors qu’elles ne peuvent pas ne pas savoir qu’elles sont fortement sous influence. Les campagnes de préventions ne paraissent pas adéquates, ainsi par exemple la fameuse propagande du simple verre de trop est hors de propos, elle ne permet pas d’alerter ceux qui sont à risque car ce sont d’autres quantités et d’autres comportements qui entrent en jeu. De telles campagnes s’adressant à tous, et trop souvent moralisatrices, doivent changer de cible et viser les gros excès.

La prévention d’accident par la fixation d’un seuil toléré du taux d’alcoolémie a maintenant atteint un point où il faut trouver d’autres méthodes pour éviter les grosses infractions.

Et en matière de répression la criminalisation de ceux qui frôlent les limites tolérées devrait être relativisée.

 


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