Pour ou contre un revenu inconditionnel de base

Le 5 juin prochain il nous faudra voter pour accepter ou non l’initiative sur l’introduction d’un revenu inconditionnel de base (RIB) [1]. Au-delà des a priori et des jugements moraux il faut relever que c’est techniquement réalisable, même si ça n’est pas simple. Il faut aussi noter que si c’était accepté alors il faudrait tout introduire d’un seul coup, sans période d’essai : tout devrait se mettre en place au premier janvier d’une année qui serait le départ d’une nouvelle ère socio-économique.

Accepter cette initiative présente des risques, mais aussi des chances inespérées.

Les risques sont avant tout d’ordre économique : rien ne dit que la capacité de création de richesse dans notre pays (le PIB) ne serait pas affectée car la capacité de travail, le nombre total d’heures travaillées, pourrait fortement diminuer. Certes des améliorations de productivité sont toujours possibles mais elles ne se dictent pas à la demande. Aussi, une économie parallèle pourrait surgir où des échanges non monétarisés et donc non fiscalisés se feraient entre des personnes ayant décidé de se contenter du RIB. Et il faudrait s’attendre à une inflation systémique qui surgirait et anéantirait une bonne partie de la valeur de ce RIB (comment d’ailleurs donner de la valeur à ce qui est inconditionnel et théoriquement obtenu gratuitement). La proposition qui est faite est donc porteuse de son propre effondrement.

Un autre risque majeur pour les uns et chance libératoire pour les autres est que disparaîtrait le concept de « cas social » qui donne à tant de gens la motivation de s’occuper et de contrôler les comportements des nécessiteux et d’en ordonner les modes de vie. Bien des fonctionnaires et autres « travailleurs sociaux » se trouveraient sans emploi, au RIB, car devenus inutiles. Par ailleurs bien des politiciens seraient dénués de causes à tricoter, il leur faudrait alors inventer de nouveaux faux problèmes, peurs écologiques et autres frayeurs sociales, afin de rester dans la course.

Parmi les chances il y en a qui ont de quoi effrayer les bien-pensants et les employeurs. Comment donc assurerait-t-on que des emplois peu gratifiants continuent à être payés au lance pierre et que l’organisation du travail continue à être faite exclusivement selon les critères de l’entreprise : caissières de supermarché n’ayant pas d’heures, ouvriers non qualifiés ayant des tâches sales, pénibles ou abrutissantes. Bien des contrats de travail léonins deviendraient obsolètes et le paradigme de l’employeur dictant l’organisation et le rang social risquerait bien de changer.  Il serait facile de refuser un emploi, donc il faudrait le rendre plus attractif, tant quant à la rémunération qu’aux conditions de travail.  Choisir son travail : une chance pour la personne ou un obstacle au pouvoir collectif ?

Il y a aussi un potentiel d’amélioration dans la concurrence internationale. Si les fonds nécessaires au RIB étaient perçus non sous forme de contribution proportionnée au travail mais comme impôt ou taxes sur le bénéfice, alors un calcul intelligent des coûts de production rendrait l’offre helvétique beaucoup plus compétitive. L’Union Européenne ou l’Organisation Mondiale du Commerce pourraient même penser qu’il s’agit de distorsion déloyale, car la compétitivité de notre pays ne cesse de faire des jaloux.

Cette initiative ne passera pas ; elle comporte trop de variables incontrôlables et fera face à des oppositions viscérales. Et même s’il y a des aspects attractifs là-dedans le citoyen suisse n’a pas de vocation révolutionnaire. La droite bourgeoise se sent choquée : quelle est cette engeance redoublée de répartir à tout crin ! Quelle négation du principe de responsabilité ! Quelle négation de la valeur travail ! Quelle vision néo-communiste !  Et dans les rangs de gauche il n’y a pas d’unité pour appuyer cette proposition car avec elle s’écroule tout un pan de son action, le grain à moudre disparait et la systématique marxiste d’opposer travailleurs opprimés et capitalistes dominants deviendrait encore plus obsolète. Avec des discussions sans fin sur les modalités –toujours une bonne diversion pour ne pas traiter du fond– ces postures d’ordre moral donneront hélas le ton du débat qui est maintenant lancé.

Les initiants savent tout cela et ne s’en cachent pas ; ils parlent d’ailleurs eux-mêmes d’utopie. C’est le seul reproche que je leur fais car il y a de la frivolité à faire voter ce que l’on sait d’ores et déjà perdu. Notre système de démocratie semi-directe permet de tout aborder, cependant à force de convoquer les citoyens pour se prononcer sur des textes proposés simplement « pour provoquer un débat » on réduit ce système à une fonction de concours de beauté ou de dispute intellectuelle ; cela n’est pas digne de nos institutions.

 


 

[1] Il s’agit de verser à tout résident de ce pays une somme fixe qui ne dépendrait pas de ses occupations salariées, indépendantes ou simplement oisives. Sans que la somme ne soit définie dans le texte de l’initiative on parle de 2500 Fr par adulte et du quart, soit 625 Fr par enfant mineur, par mois bien entendu. Extrapolé à la population suisse il s’agit de distribuer environ 210 milliards de francs chaque année, soit le tiers du produit intérieur brut du pays.
Texte de l’initiative :

La Constitution du 18 avril 1999 est modifiée comme suit :

Art. 110a (nouveau) Revenu de base inconditionnel
1 La Confédération veille à l’instauration d’un revenu de base inconditionnel.
2 Le revenu de base doit permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique.
3 La loi règle notamment le financement et le montant du revenu de base.


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1 thought on “Pour ou contre un revenu inconditionnel de base”

  1. Merci pour cet article que j’ai trouvé nuancé (et qui complète un article paru récemment sur contrepoints).

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