Renvoi automatique des étrangers criminels

Le 15 janvier 2010 un article constitutionnel prescrivant le renvoi des étrangers criminels était approuvé par 52,3% des voix et par 15 cantons et 5 demi-cantons. Un contre-projet de l’assemblée fédérale était simultanément rejeté.

Les initiants d’alors, UDC/SVP, insatisfaits de la manière avec laquelle cet article 121 est appliqué, ou pas appliqué, ont lancé une initiative dite de mise en œuvre par laquelle les conditions de ces renvois seront précisément définies dans l’article 197 qui fixe les dispositions transitoires de la Constitution.

Ainsi, le 28 février prochain le peuple est appelé à sanctionner l’inactivité de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral en leur prescrivant en détail ce qui constitue une cause de renvoi, sans plus laisser de marge d’interprétation aux lois et aux instances judiciaires[1]. L’ordre de préséance juridique y est mis sur la tête car ce texte constitutionnel est truffé de références aux lois, surtout le code pénal et la loi sur les étrangers ; drôle de hiérarchie inversée ! C’est là une disposition très inhabituelle dans notre système de démocratie semi-représentative et semi-directe. On pourrait imaginer que dans le futur les dispositions transitoires de la Constitution deviennent définitives et se substituent aux autres lois au fur et à mesure de l’évolution des mouvements politiques du pays. En cela l’UDC/SVP continue son travail de sape du système que ce parti prétend défendre.

Une constitution sert à définir les principes de fonctionnement de l’État, et non les modalités. Elle doit rester un cadre stable, non soumis aux humeurs volages ni aux luttes partisanes. Nous avons déjà bien trop d’exemples de mesures de détails fixées dans notre Constitution fédérale et il ne faut donc pas se tromper : le vote populaire devient dictature de la majorité lorsque des décisions quasiment irréversibles sont prises.

Cet abus législatif par une voie pseudo-constitutionnelle est une raison déjà suffisante pour le rejet de cette initiative. Ordnungspolitisch falsch.

Mais les faux pragmatiques, prêts à toutes les incongruités pour satisfaire leurs besoins immédiats, me rétorqueront que je ne suis qu’un intello pas intéressé à ce que désire le vrai peuple, que mes considérations sur la stabilité constitutionnelle du pays n’ont pas d’importance, surtout vis-à-vis de cette menace que représentent les étrangers.

Sur le fond il reste vrai que gouvernement et parlement se sont remarquablement efforcés de ne pas mettre en application le texte voté en 2010, alors même que leur contre-projet n’avais pas non plus été accepté. Ce n’est pas le premier cas de manque de respect à la constitution que ces élus ont pourtant juré ou promis d’observer.

Faut-il pour autant accepter le texte maintenant proposé à votation ?

On ne refera pas le débat sur la nécessité ou non de renvoyer les étrangers criminels, on ne revote pas là-dessus. Si donc l’initiative de mise en œuvre était rejetée le 28 février prochain il faudrait tout de même que parlement et gouvernement mettent en place des lois que les juges devront appliquer. On nous dit même qu’un texte serait prêt qui ressemblerait grandement au contre-projet refusé en son temps.

Or personne ne sait vraiment pourquoi ce contre-projet[2] avait été refusé, moins radical et plus mesuré que l’initiative et donnant au juge une marge d’interprétation (proportionnalité comme on dit, ce qui ne veut rien dire). Ne serait-ce pas parce que son texte était un salmigondis de bons sentiments sur la valeur de l’intégration (Art. 121a) et n’abordait la question du droit à rester dans le pays que dans un deuxième article (121b), presque donné comme pis-aller à notre propre défaillance à bien intégrer ces étrangers ? Lorsqu’un citoyen habitué à statuer sur des questions pratiques lit « La promotion de l’intégration vise à créer des conditions favorables permettant à la population étrangère de disposer des mêmes chances que la population suisse pour ce qui est de la participation à la vie économique, sociale et culturelle » (121a 3), il ne peut que s’énerver et dire non. Une constitution ne vise pas à gloser sur la promotion qui crée des conditions favorables, bon sang ! elle définit et ordonne. Je maintiens que sans cet article 121a le contre-projet aurait été préféré à l’initiative et que nous serions tranquilles avec, en moins, quelques milliers d’étrangers indésirables chez nous (peu importe d’ailleurs qu’ils ne soient pas non plus désirés chez eux).

Comme toujours avec les initiatives provenant de l’UDC/SVP, le texte soumis au vote de l’initiative de mise en œuvre est mal fichu et ouvre la porte à des abus, dans ce cas quant à la définition sans limite vers le bas de ce qui constituerait une récidive donnant lieu à un renvoi automatique. Chacun a bien une seconde chance, mais on peut douter de la signifiance de la première encouble. Il n’est pas impossible de construire des cas banals, par exemple celui d’une infraction routière (grand excès de vitesse, cause d’accident par inattention) donnant lieu à une condamnation pénale qui constituerait un précédent pour expulser un résident étranger qui dans les dix ans suivant commettrait une infraction pas assez grave pour justifier un renvoi immédiat et dont une liste exhaustive est donnée.

Et aussi, trop de loi tue la loi. Un autre abus qui, en toute certitude, découlera de cette initiative sera la réaction du juge qui s’empêchera de sanctionner durement un étranger afin de ne pas créer des conditions rendant automatique son renvoi. On imagine déjà les plaidoiries dans ce sens ! Par exemple on le condamnera à l’amende simple plutôt qu’à une peine de prison ou équivalent pécuniaire. Ce sera là sa seule liberté d’interprétation, et on peut être sûr qu’il en fera usage.

Sans tomber dans aucune bien-pensance dégoulinante on voit qu’il y a de bonnes raisons pour rejeter cette initiative de mise en œuvre : ordre juridique anti helvétique, manque de nuance et effets contre-productifs certains. Si on la refuse il faudra de toute manière mettre en place une loi d’application qui ressemblera au contre-projet d’alors, mais sans le sermon sur l’intégration ; alors ça, ça me conviendra bien.

Et n’oublions pas aussi qu’il y a une solution bien préférable pour les étrangers : ne pas commettre de crimes ou de délits, comme cela est aussi exigé des Suisses, de souche ou bouturés, ici ou ailleurs.

 

[1] Texte de l’initiative : www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis357t.html

[2] Il vaut la peine de le relire ici : www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2010/3855.pdf

 


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