Lettre émergente

Il y a de ces courriers qui vous arrivent. Cette fois-ci c’est un certain Monsieur Wasiwasi qui désire m’entretenir de ses soucis. Non, il n’a pas de millions en héritage dont je pourrais profiter ni de besoins particuliers pour aider une de ses grand-tantes soufrant d’une maladie incurable. Voici ce qu’il m’écrit.

Bien cher et honoré Monsieur vivant en Suisse,

C’est fantastique, dans mon pays la connexion internet qui sert aux casques bleu pour converser avec leurs familles nous est maintenant ouverte. Je suis donc assis au café et tout en buvant un thé je me suis mis à tapoter sur un clavier. Je vois un monde invraisemblable et qui, à vous, semble vous sembler normal. Existez-vous où êtes-vous un roho, un de ces esprits qui nous entourent ?

Ici au Mlimanyekundu on nous dit que nous sommes en phase de développement ; il y a de ces personnes –qui viennent du Nord et qui y repartent vite– qui expliquent que nous allons bientôt émerger. En attendant il nous faut bien retenir notre souffle car j’ai l’impression d’être encore très au fond de la mare.

L’autre jour un groupe de notre village est parti pour un pays voisin du vôtre pour participer à une conférence parce qu’il parait que la savane va encore chauffer et que c’est de votre faute. Ça c’est pas possible. Nous on voit bien que c’est le soleil qui nous chauffe et que c’est la lune qui reste froide. Pourquoi les gens du Nord (les GDN), toujours attentifs à caresser de leur gentilles mains les têtes frisées de nos enfants, seraient ceux qui nous chauffent ? Et nous alors !

Quand nos cousins reviendront de la conférence ils auront des sous pleins les poches ; c’est en tous cas ce que ceux du Nord leur ont promis. Il faudrait que cet argent (on n’en n’a pas besoin, il y en a une mine chez nous) serve pour que nous ne nous mettions pas à chauffer comme vous, mais pour que nous restions sous l’eau, sans émergence. Avec lui les GDN vont se faire payer des salaires et des billets d’avion pour venir nous donner des conseils. Ils ont aussi promis de s’acheter des crédits carbone. C’est quoi ça ? On m’explique que c’est une image qu’on achète à un grand prêtre appelé Bourse et qui fait que si on chauffe on est pardonné. Il y avait au temps de mon grand-père des messieurs barbus et sans cheveux sur la tête mais seulement autour, habillés de robes toutes blanches ou toutes noires, qui en vendaient déjà. C’est ça ce que vous appelez du recyclage ?

S’il reste encore des sous ils vont acheter pour nous –à des fabriques du Nord où de gentils GDN sont très disposés à faire tourner leur économie pour notre bien– des fours solaires et des nouvelles bougies sans pétrole. On devrait pouvoir dîner mieux avec. Mais comme dit ma mère je comprends vite quand on m’explique longtemps : chez nous c’est après que la nuit est tombée, tôt et vite, que l’on cuit le repas en faisant du feu avec le pétrole qui sort du sol dans la vallée de Mafuta. À quoi serviront ces fours solaires ? On ne va quand même pas quitter les champs le jour pour aller faire la cuisine sous le soleil et manger du réchauffé le soir. Déjà qu’on n’a pas assez à manger il faudrait éviter que ce soit de la malbouffe.

Et puis avec les sous il paraît qu’ils ne veulent pas nous fournir du poisson mais nous apprendre à pêcher. Vous savez pêcher vous ? Sur internet je ne vois chez vous que des vieux messieurs au bord d’une rivière dormant à côté d’une canne à pêche à laquelle une clochette est attachée pour les réveiller si jamais un poisson venait secouer le tout, l’avantage étant que pendant ce temps leurs femmes vont en houspiller d’autres. Nous au moins, au bord du lac Samiki, on utilise des filets. Et nos femmes savent bien s’amuser. Si vous voulez je peux venir vous expliquer comment tout ça fonctionne.

Comme les cousins ont entendu que les GDN ont très envie de nous donner encore plus d’argent, alors ils ont prévu d’en réclamer dix fois plus que ce dont ils auraient besoin. Ça leur permettra de s’acheter des yachts à Monaco, des hôtels particuliers à Paris, et des chalets en Suisse. Comme ça je saurai où dormir si vous m’invitez à venir vous voir. Car j’aimerais quand même bien savoir si vous êtes réel, si vous avez de la chair et des os, pas pour la manger et les ronger mais pour pouvoir rigoler avec vous des bêtises qui se préparent dans ces conférences. Parce que votre blog, c’est bien pour la blague, non ?

Au revoir Monsieur de la Suisse, gardez bien vos vaches, nos zébus, eux, vont là où ils veulent.

Upendomungu Wasiwasi du Mlimanyekundu

P.S. : Vous pouvez passer cette lettre à vos amis et la publier. Plus on est de fous plus on rit.


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