Donner ou non audience à une critique dérangeante

Dans une société ouverte, régie par l’état de droit, la protection des libertés et le refus de toute position dominante, il est légitime et nécessaire de laisser la critique s’exprimer et faire valoir ses arguments. C’est là-même une des libertés fondamentales, celle d’opinion et d’expression. Se pose la perpétuelle question de ses limites et de l’audience à lui accorder.

On ne parlera pas de la calomnie ou de la diffamation, cela est réglé par les lois pénales. Celles qui répriment les expressions incitant à la haine raciale ou négationnistes des faits de crimes contre l’humanité sont plus discutables, mais ce n’est pas ici mon propos.

Il se trouve des situations où des arguments critiques sont répétés à l’envi, alors même que leur réfutation est implacable. Il faut avoir un caractère quérulent pour continuer avec ça. La terre n’est pas plate, les meilleurs peuples n’existent pas, mon dieu n’est pas plus saint que le tien. Mais rassurons-nous, vite plus personne n’écoute, l’audience s’éteint d’elle-même, sauf en pays de fanatisme.

Très souvent aussi la critiques est d’un ordre tellement convenu, blâmage du système, des riches, des profiteurs, de la pollution, ou des tartes aux pommes moins bonnes que celle de sa grand-mère, que le pseudo héroïsme ou anticonformisme de celle ou celui qui la prononce est d’une banalité effarante. Ça ne mange pas de pain d’y participer, et ça devient une sorte de pensée molle et unique, hélas majoritaire, le fameux main stream, généralement plus faux que vrai. Les artistes du monde du show-biz et autres personnages publics « s’engagent » souvent dans ces tièdes et confortables baignades dès qu’on leur demande de s’exprimer, souvent d’ailleurs en dehors de leur sphère de compétence (ce qu’ils devraient refuser, comme les sages d’entre eux le font). Les réactionnaires invétérés sont aussi de cet acabit. Les discussions de dîner en sont pleines, car sinon on n’arriverait pas en paix au dessert. Paradoxalement tous se réfèrent pourtant à un système et un corps de pensée auxquels ils se conforment sans même exercer leur esprit critique. Il y a de la paresse et peu d’intelligence et de raison là-dedans. Mais audience y et donnée en continu, c’est l’anti-censure par conformisme, dégoulinements abondants et lassants, mais pas interdits. Soyons réaliste : il faut vivre avec.

Là où ça commence à m’intéresser c’est lorsqu’il y a manifestation d’opposition, l’expression de doutes sur des positions majoritaires, lorsque la critique est argumentée contre des théories et croyances qui se prétendent universelles. Il n’est pas nécessaire d’être un expert reconnu pour détecter des failles, poser des questions et proposer des alternatives. Sous prétexte que telle opinion serait celle de personnes isolées et sans soutien, sous prétexte que leur compétence n’est pas avérée, sous prétexte que ce sont des points de vue de détail ou mal choisis, sous prétexte que de très nombreux experts se sont prononcés et que « la messe est dite », sous prétexte qu’ouvrir ou rouvrir un débat ne fait que reculer la mise en place de politiques déclarées urgemment nécessaires, alors il faudrait regretter qu’audience soit donnée à de telles voix. Et si on la leur donne (les médias le font, bien que rarement) il faut les caser dans des catégories simplistes, les ridiculiser et les marginaliser. Certains mêmes demandent de poursuivre pénalement ces empêcheurs de tourner en rond.

C’est un argument fort car on sait qu’une minorité de blocage mal intentionnée peut pourrir une situation, ce qui peut constituer une faiblesse de l’exercice démocratique.

Il est pourtant fascisant, surtout lorsqu’un ou plusieurs des prétextes ci-dessus sont la seule raison invoquée pour faire taire l’autre. Cela participe de la fameuse tentation totalitaire. La tactique est de ne pas entrer dans le débat, de faire de l’enfumage en citant des références illisibles, de ne pas examiner et réfuter les arguments point par point, de rejeter l’autre pour ce qu’il est (mise en cause ad hominem) plutôt qu’affronter ce qu’il exprime. Cette manière de réagir est erronée, voire même une faute, un crime. Mais ça marche !

Je ne reviendrai pas sur l’Inquisition ou les procès de Moscou. En ces temps-là la doxa a prévalu, pas trop durablement d’ailleurs, et il me semblait qu’ils étaient révolus, ces temps-là.

Hélas aujourd’hui une telle censure se généralise. Toute critique civilisationnelle sera immédiatement réduite au racisme, tout mise en question des « bonnes causes » sera taxée d’ignorance ou d’obscurantisme, toute opposition à un écologisme militant sera caractérisée comme sale, incompétente, irresponsable ou anti-durable, et toute voix démontrant le scandale des majorités dominantes sera réduite au silence. Et ce catégoriquement, sans entrer en matière, sans avoir le courage de s’exposer par une réfutation construite.

J’appellerai cela censure pour non-conformité à l’air ambiant. Ce climat-là se réchauffe plus fort que celui de la planète. Nous ne vivons pas dans une société de libertés.

On minaude en disant que les lanceurs d’alertes sont nécessaires, que la démocratie bla bla bla… Tout ça n’est vraiment pas vrai : lorsque la critique fait mal il s’agit de la faire taire, et surtout de ne pas y répondre.

Ce fascisme est latent, surtout chez les premiers de classe intellectuels, chez les grands prêtres des causes globales, les scientifiques hystériques, les « sachants » de ce monde.

Faisant partie intégrante du vulgum pecus ai-je raison de les détester ?

 

Yet in holding scientific discovery in respect, as we should, we must also be alert to the equal and opposite danger that public policy could itself become the captive of a scientific-technological elite. [1]

________________________

[1] « Tout en ayant du respect pour la découverte scientifique, comme il se doit, nous devons aussi être attentifs au danger similaire mais opposé que les politiques publiques puissent elles-mêmes devenir prisonnières d’une élite technique et scientifique. »
Discours d’adieu du Président Eisenhower le 17 janvier 1961, dans lequel il dit aussi la fameuse phrase: we must guard against the acquisition of unwarranted influence, whether sought or unsought, by the military-industrial complex. http://mcadams.posc.mu.edu/ike.htm


Merci de compartir cet article
FacebooktwitterlinkedinmailFacebooktwitterlinkedinmail

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.