Une encyclique écologiste

Il serait facile de se moquer de la récupération que le Pape fait de l’écologie en l’intégrant –il parle de conversion écologique– au catéchisme de sa religion dont l’histoire n’est ni pavée de précautions ni exempte d’abus de pouvoir.

Il faut en effet ne pas prendre son encyclique Laudato si’, mi’ Signore [1] comme un texte destiné seulement à ses évêques et à leurs ouailles. Parlant à la première personne du singulier (où est passé le Nous papal, infaillible ?) il s’adresse aux croyants, bien sûr, mais il inclut aussi les non croyants dans la responsabilité de gérer la terre comme un héritage, notre maison commune.

Dans ce texte dense que je ne saurais résumer ici, il est proposé que l’écologie soit intégrale, c’est à dire qu’au-delà de notre relation avec l’environnement naturel elle tienne compte des dimensions humaines et sociales. À cela il n’y a rien à redire, ni à son appel à une croissance par la sobriété.

Cependant le bilan écologique qu’il présente au premier chapitre me paraît excessivement négatif. Ainsi parler de pollution généralisée provoquant des millions de morts prématurées ne tient pas compte du fait que, au contraire, l’espérance de vie des gens s’est fortement accrue en même temps que les activités industrielles –et polluantes– se développaient. Parler de la « nostalgie des paysages d’autrefois, qui aujourd’hui se voient inondés d’ordures » (21) est fortement réducteur en comparaison avec les conditions insalubres dans lesquelles vivaient nos ancêtres. Aussi associer l’usage d’engrais et de pesticides à leurs seuls effets toxiques ne rend pas compte de la sécurité alimentaire qu’ils ont permis d’atteindre depuis des décennies.

Et il y a le climat. Déjà la presse réduit cette encyclique à ces questions et se réjouit qu’elle puisse agacer les climatosceptiques. Malgré des précautions prises pour dire « qu’on ne peut pas attribuer une cause scientifiquement déterminable à chaque phénomène particulier » (23) le Pape s’en remet à « de nombreuses études scientifiques [qui] signalent que la plus grande partie du réchauffement global des dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à effet de serre […] émis surtout à cause de l’activité humaine ». Suit alors la litanie des victimes potentielles de ces changements et l’affirmation que ça ne pourra pas aller mieux tant que « nous maintenons les modèles actuels de production et de consommation » (26).

Ce sombre inventaire se termine par les problèmes d’accès à l’eau potable, la perte de la biodiversité, un amalgame avec les détériorations de la qualité de la vie humaine et la dégradation sociale (chapitre IV), ainsi que l’exacerbation des inégalités planétaires (chapitre V). Rien que de très lassant à force d’être répété sans vraiment y prouver quoi que ce soit.

En gros et pour faire court il attribue la cause de tous ces maux à l’excessif pouvoir ou domination du Nord sur le Sud, de la finance sur la technologie, de la technologie sur la politique, du court terme politique et économique sur la spiritualité, et de l’individualisme sur l’amour du prochain.

Il parle d’action nécessaire, de problèmes globaux pour lesquelles des solutions globales doivent être trouvées et mises en place activement par une Autorité politique mondiale qui devrait être dotée de pouvoir pour sanctionner (175). Mais à part la surexploitation des ressources halieutiques, la pollution des océans par des déchets non dégradables et les substances augmentant le fameux trou d’ozone stratosphérique il est pourtant difficile d’identifier de tels problèmes globaux. Ah oui, le climat… c’est vrai que c’est global mais aussi que l’action humaine n’y est ni une cause prépondérante ni un remède possible, comme cela se démontre si aisément que l’on fait taire ceux qui le font[2]. Bien sûr il a fallu et il faudra encore s’adapter aux variations météorologiques, aux évolutions climatiques et aux catastrophes naturelles, mais pour cela aucune action globale n’est nécessaire. L’air des cités, la pureté microbiologique de l’eau potable, l’aménagement du territoire, l’urbanisme, la conservation des sols, l’accès à l’éducation et aux soins, tout cela est d’ordre local, voire individuel. Cela ressort du principe de subsidiarité comme il est pourtant bien fait mention (157).

Alors, prévenant toute objection le Pape s’en remet au principe de précaution (186). Et aussi il affirme (161) : « Les prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées avec mépris ni ironie. » Là il s’en remet entièrement aux oracles, sans vraiment en donner la raison. Peut être fait-il ce pari pascalien dont je parle dans un autre billet[3]. Alors il se trompe, grave, car en matière de climat il est certain que l’activisme mène à plus de malheurs que de bonnes solutions, d’autant plus que personne ne sait ce qui est un bon climat.

À l’exception des points touchant à religion et spiritualité, si ce n’était pas le Pape qui écrivait cette encyclique on pourrait croire qu’il s’agit d’un manifeste néo-marxiste, pas faux dans l’analyse, mais incomplet et biaisé, et surtout erroné dans les propositions.

La préoccupation majeure de ce Pape est reflétée dans le choix du prénom qu’il s’est donné, faisant référence à François d’Assise, à son ascétisme heureux, à la protection de ce qui est faible et à l’émerveillement qu’il ressent face à nature. Il est catholique, il lui faut donc reconnaître les péchés contre la création et se repentir, c’est sa foi et son choix. Son principal engagement est pour les défavorisés, surtout des peuples du Sud qu’il considère comme victime alors que les peuples du Nord auraient une “dette écologique” envers eux. Il associe systématiquement technique et science au pouvoir de la finance, qui seraient à l’origine et à la perpétuation de ces graves injustices sociales. C’est pourquoi il appelle à un transfert de savoir et de savoir-faire. Mais il ne parle pas trop des causes de la corruption et des conflits qui, dans ces pays, bloquent tout progrès, seulement qu’il faut s’y opposer.

Il met en cause le progrès[4] qui a été réalisé pour nous mener à la société post-moderne actuelle (donc occidentale et techno centrique), mais il appelle en même temps à un autre progrès, qu’il faudrait maintenant préqualifier et restreindre avant même qu’il ne se manifeste (principe de précaution). C’est oublier que les problèmes de pollution, qui n’existaient pas dans les sociétés préhistoriques, s’ils sont concomitants au développement sont aussi résolus par les avancements de la science et de la technique. C’est aussi oublier que seule une société économiquement affluente a les moyens de maintenir ses cours d’eau propres, son air peu pollué, ses déchets triés et bien éliminés, ses sols productifs et de conserver sa richesse naturelle, sans parler de protection sociale et de riche vie culturelle. De ces progrès là le Pape ne parle que peu, il les préjuge comme insuffisants et issus d’un paradigme technocratique (111), même s’il considère que « les pays pauvres doivent avoir comme priorité l’éradication de la misère et le développement social de leurs habitants » (172). Comment cela se ferait-t-il sans technique ?

Dans les appels qu’il avance, écologie intégrale, normes et solutions globales, voire même révolution culturelle (114) et conversion écologique des chrétiens (216-221) je vois la même ingénuité, feinte ou involontaire, de ne pas vouloir considérer les processus de formation de l’opinion et de prise de décision dans un état de droit qui ont mis des siècles à s’établir, comme si cela aussi devait être réinventé. Ce n’est pas sans ironie que je constate que le mot démocratie n’apparaisse pas dans ce texte ; au vu des origines et fondements culturels du Pape et de la stricte hiérarchie catholique romaine dans laquelle il baigne depuis des années je ne devrais pourtant pas m’en étonner.

Ma critique pourrait aller plus loin, dans plus de détails, c’est ce qui rend cette encyclique utile, même au mécréant que je suis. C’est pourquoi j’en recommande une lecture sans complaisance. Des 246 paragraphes dont elle est composée il y en a beaucoup auxquels j’adhère, mais il n’y en a que très peu qui ne prêtent pas à la controverse, même ceux avec lesquels je suis d’accord.

Comme, pour finir, le 188 : « Dans certaines discussions sur des questions liées à l’environnement, il est difficile de parvenir à un consensus. Encore une fois je répète que l’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent, pour que les besoins particuliers ou les idéologies n’affectent pas le bien commun. » Cela suscite trois questions :

  • Sommes-nous gérables par consensus ?
  • De quelles idéologies faut-il s’abstraire ? Des bonnes et des mauvaises ? Qui le sait ?
  • Ce débat mènera-t-il à quelque chose ?

[1] Encyclique donnée le 24 mai 2015 mais publiée hier, que l’on peut lire et télécharger sous : http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html
Entre parenthèses dans ce billet j’indique le numéro du paragraphe correspondant de l’encyclique.

[2] Voir mes arguments contre l’anthroporéchauffisme : http://bit.ly/1Dm8Jwt
ainsi que le manque de corrélation entre température et CO2 : http://blog.mr-int.ch/?p=2315&lang=fr

[3] Voir « Controverse climatique : deux paris diamétralement opposés « : http://blog.mr-int.ch/?p=1889&lang=fr

[4] À propos du progrès voir mon billet : http://blog.mr-int.ch/?p=855&lang=fr


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