Traités internationaux et jurisprudence : avis de droit d’un non-juriste

(no English translation)

Les lois sont votées par le peuple et par les parlements, exécutées par les gouvernements, et la justice s’occupe des cas conflictuels pour faire en sorte que les lois s’appliquent de la même manière pour tous.

Avec le temps la justice accumule une expérience et ne doit pas retraiter des cas similaires comme s’ils étaient nouveaux, c’est la jurisprudence qui établit des standards d’interprétation, mais non des nouvelles lois. Si les lois ne sont plus satisfaisantes, ou si la jurisprudence prend un cours contraire à la volonté des citoyens et de leurs représentants, alors on peut faire des changements et les juges doivent s’adapter à la nouvelle législation.

Dans un état de droit normalement bien constitué, les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires se surveillent entre eux et cohabitent avec un contrôle démocratique qui assure que les uns ou les autres n’outrepassent pas leurs compétences, risquant d’être retoqués à la prochaine élection ou au prochain référendum.

Par contre dans les relations internationales cette cohabitation n’est pas établie. Les conventions et traités bi- ou multilatéraux sont convenus entre des parties contractantes qui s’engagent pour ce, et seulement ce, qu’elles signent.

En cas de divergences ou conflit les parties se mettent d’accord sur le problème spécifique, ou révisent les traités, ou alors, comme ultima ratio, se déclarent la guerre.
Mais elles ne suivent pas une autorité spéciales qui leur dicterait la manière d’interpréter ce qu’elles ont signé, car elles sont souveraines pour le faire.
Il y a des exceptions à cette règle : l’arbitrage de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est prévu dans ses statuts car c’est là-même la raison de son existence, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) juge les agissements des états signataires conformes ou non à la Convention , l’ONU prend des résolutions qui sont théoriquement contraignantes mais qui seront ou non suivies par les pays concernés, au risque de conflit.

Un état abandonne sa souveraineté s’il signe un traité dans lequel il est convenu qu’il reprenne directement les changements de législation faits par une autre autorité que la sienne propre. Ce qu’ont fait les états membres de l’Union Européenne.

C’est ce qui se passe pour la Suisse dans un cas, la CEDH, et ce qui pourrait se passer si un accord institutionnel avec l’Union Européenne automatisait la reprise du droit européens par la Suisse dans les matières qui sont actuellement réglées par des accords bilatéraux, avec à la clé la question de la juridiction.

Avec l’UE il est encore possible d’éviter le pire, quoique je craigne que notre Conseil fédéral se fasse prendre les pantalons baissés ou les jupes relevées.

Dans le cas de la CEDH il y a un problème majeur. Ce n’est pas celui d’une cour qui statue sur l’application de la Convention mais sur le fait que – comme si c’était naturel, car ça l’est dans l’unité fermée d’une nation qui a ses propres mécanismes de contrôle démocratiques – la reprise de la jurisprudence de la Cour y est automatique, surtout par le bon élève que prétend être la Suisse.
C’en arrive même au point que certains politiciens de notre pays parlent de droit fondamentaux alors qu’il ne s’agit que d’ajouts que les juges ont fait à leur jurisprudence, au cours du temps et des cas. Exemple : la Convention, que je viens de relire, ne précise rien sur le regroupement familial, ni sur le statut des réfugiés et des immigrants.
C’est par la seule évolution des décisions de la Cour que des standards se sont établis sur de tels sujets, sans que la Suisse n’accepte ou ne rejette cette nouvelle législation dictée par des juges qui, tous sauf un, ne sont pas suisses. Et, comme cette cour a une forte tendance à se poser en législateur plutôt qu’en juge, les conséquences n’en sont que plus graves.
On en est arrivé au point où une Suisse championne du monde de la « vorauseilende Gehorsamkeit » (obéissance par anticipation) se complique la vie afin d’éviter que la CEDH n’ait à montrer son insatisfaction.

Y-a-t-il un moyen d’éviter cette reprise automatique de la jurisprudence ?

Alors qu’en droit interne ce ne soit ni possible ni pratique (encombrement des tribunaux), cela devrait l’être en droit international, car les traités signés ne peuvent contenir les évolutions ultérieures à la signature.
Il est donc impératif d’y avoir des mécanismes d’exclusion de l’extension d’une éventuelle jurisprudence sous peine de perte totale de sa souveraineté, et de son bon sens.
Cela peut se faire selon deux méthodes, à appliquer simultanément.
D’une part, il s’agit de formuler une réserve générale à la Convention (ou autre moyen, je ne connais pas les véhicules juridiques) qui stipule que la Suisse se réserve le droit de ne pas reconnaitre les décisions de la Cour au-delà des cas précis qu’elle a jugé, donc de ne pas les considérer comme ayant force de loi dans d’autres cas. Donc si la cour condamne la Suisse dans le cas A, un cas B similaire à A sera traité par la Suisse comme elle l’entend, même si cela peut entraîner un nouveau recours auprès de la Cour.
Mais si l’on ne faisait que cela on n’avancerait pas, ni pour résoudre des cas nouveaux ou pour régler des évidences.
Il faudra donc, lorsque la Suisse aurait été condamnée par la Cour, que gouvernement et parlement se posent la question de modifier ou non les lois, et ceci de manière explicite, non cachée derrière les abondants et touffus textes des décisions de la CEDH qui sont censés faire jurisprudence.
On aura alors ou bien ratifié de manière démocratique une décision de la Cour, ou on aura changé nos lois pour, dans le futur, régler différemment les cas similaires qui se présenteraient.
Et si ce nouveau cadre légal posait problème par rapport à la Convention (mais pas à la jurisprudence qui en a dérivé) alors il pourrait se trouver qu’un nouveau recours puisse être déposé dans un nouveau cas, c’est un moindre risque à prendre.
Mais de toute manière la jurisprudence de la Cour ne servira plus d’obligation, mais de sujet à débattre, ce qui est normal lorsque cela vient de d’institutions extérieures au pays.
Et la Cour devra tenir compte du fait que la Confédération helvétique lui reconnait un droit de décision portant sur la Convention Européenne des Droits de l’Homme (tel que prévu dans ladite Convention), mais pas le droit de se baser sur une jurisprudence qui n’aurait pas été ratifiée par le peuple suisse ou ses représentants.

Qu’on ne me dise pas que c’est impossible avant d’avoir essayé.

© 6 novembre 2014. Michel de Rougemont


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