Énergies intermittentes : stockage et restitution

(No English translation available)

Lorsque les productions d’énergie sont intermittentes pour cause de nuit, de nuages ou d’absence de vent, il faut soit renoncer à se fournir avec de telles sources ou alors stocker de l’énergie en réserve pendant le temps productif pour la récupérer plus tard.

Le procédé de pompage et de turbinage de l’eau est l’un des moyens de stockage dont la technologie est prouvée. Pour son économie, c’est une autre histoire.

Quand on pompe on perd environ 14% d’énergie et quand on turbine de même. Donc le stockage-déstockage restitue seulement environ 74% de l’énergie fabriquée initialement (les 26% partent en chaleur dans l’environnement).

Petit problème simple:

Supposons qu’une région n’échange pas d’électricité avec ses voisins. Elle dispose seulement d’un parc éolien et photovoltaïque (EP) pour la production, et de stations de pompage-turbinage (PT) pour le stockage et la fourniture en temps creux. Aucune autre source d’énergie n’est disponible.

Les consommateurs utilisent en continu une puissance de 100 MW (0.1 GW). Il faut donc fournir 877 GWh par année (de 8766 h en moyenne).

Le facteur de charge de ce parc de production est de 20% du temps (typique pour photovoltaïque en Suisse: 10-15%, éolien: 20-25 %). On fera l’hypothèse que cette intermittence se fait sur un cycle moyen de 1 jours au plus long, ce qui détermine le volume d’eau à stocker.

Pendant que le parc EP travaille il doit : fournir 100 MW aux clients et suffisamment de MW pour le pompage.

Pendant que le parc EP ne travaille pas il faut fournir 100 MW aux clients à partir de l’eau stockée en altitude.

Les stations PT pompent pendant que le parc EP produit et turbinent pendant que le parc EP est en défaut, chacune de ces opérations a un rendement énergétique de 86%.

QUESTIONS :

1. Quelle doit être la puissance nominale du parc EP ?

2. Et celle du total des stations PT ?

3. Quelle doit être la surface du lac de retenue si l’élévation est de 800 m en moyenne avec un niveau du barrage fluctuant de ±5 m sur un cycle de 24 h?

RÉPONSES :

Pendant la période active (1753 h) le parc WP fournit 175 GWh aux consommateurs.

Pendant la période inactive (7013 h) il faut être en mesure de leur fournir 701 GWh.

Pour cela il faut en avoir stocké 815 GWh car le rendement du turbinage est de 86%.

Pour stocker 815 GWh il faut avoir produit 948 GWh car le rendement du pompage est de 86%.

Donc pendant la période active du parc il faut produire 175 + 948 = 1123 GWh

Question 1 : puissance nominal du parc EP

Puissance à installer : 1123/1753 = 0.641 GW,
soit 6,4 fois plus que ce que les consommateurs consomment instantanément, 5 fois à cause de l’intermittence, et 1,4 fois pour se « payer » le stockage à cause de rendements inférieurs à 100%.

Question 2 : puissance nominale des stations PT

Puissance nominale des pompes : 815/1753= 0.465 GW,
qui turbineront à 100 MW car c’est ce qui est demandé par les consommateurs.
La puissance nominale à installer est donc 4,7 fois plus élevée que la consommation instantanée des consommateurs.

Question 3 : bassins de retenue à 800 ± 10 m d’élévation pour 1 jours de cycle

1 m3 à une hauteur moyenne de 800 m représente une énergie de 7.85 MJ

Le débit de pompage doit être de 465/7.85 = 81.7 m3 s-1

En 4.8 h de pompage (20% du temps du cycle) on aura stocké 81.7· 3600· 4.8 = 1,02· 106 m3

Sur 10 m de hauteur il faudra une surface de 51’200 m2, un lac ou une portion de lac de 255 m de diamètre.

Il faut remarquer qu’une installation de haute dénivellation a une fonction mixte d’accumulation des eaux du bassin versant dans lequel elle est installée et de pompage-turbinage. L’installation de l’Hongrin en Suisse a une puissance de 240 MW et une dénivellation de 800 m entre le lac Léman et le lac de retenue, elle a un rendement de 75% environ, elle va être bientôt doublée à 480 MW (avec le même lac dont le niveau fluctuera deux fois plus) pour un investissement de 330 million de francs (270 M€). Une nouvelle installation au Nant de Drance est en construction qui aura une puissance de 900 MW et une dénivellation de 320 m en moyenne. Elle devrait atteindre un rendement combiné record de 80%. L’investissement est de 1.9 milliard de francs (1.55 G EUR), soit 1.7 EUR/W.

Investissements :

Les installations photovoltaïques ont un coût d’investissement d’environ 2 EUR/W.

Les éoliennes coûtent environ 1 EUR/W.

Ainsi avec un parc composé de 73% d’éoliennes et de 27% de panneaux solaires l’investissement pour fournir continument 100 MW sera de :

641· (0.73· 1+0.27· 2) + 465· 1.7 = 1’606 million EUR.

Alternative A :
au lieu de pompage turbinage des turbines à gaz pourraient servir d’énergie d’appoint pour les périodes creuses. Avec un coût d’investissement de 0.75 EUR/W le coût total serait alors de

100 · (0.73 ·1 + 0.27 · 2) + 100 · 0.75 /0.8= 221 million EUR, auxquels il faudrait ajouter le prix du gaz pour 80% du temps, soit 18 million EUR par an.

Alternative B :
renoncer à ce parc EP, installer des centrales à gaz ayant un facteur de charge de 80%, et importer le gaz nécessaire (ou l’extraire sur place s’il y en a):

100· 0.75/0.8 = 94 million EUR

et au prix du gaz de 25 EUR/MWh il en couterait 22.4 million EUR par année.

Comparaison

La station au fil de l’eau sur le Rhin à Rheinfelden (Allemagne et Suisse), récemment reconstruite pour 380 million d’euro avec des turbines modernes, a une puissance nominale de 100 MW pour un débit de 1500 m3/h ; sa hauteur de chute est entre 6 et 9.1 m. En une année moyenne elle produit 600 GWh soit une utilisation de 68.4% de la capacité nominale. Pour fournir les 100 MW de l’exemple de calcul il faudrait 1.46 installations de ce type soit un investissement de 556 million d’euro. Mais dans ce cas il ne faut pas oublier qu’une usine au fil de l’eau produit de l’électricité dite de bande et que la bande fluctue selon les saisons et les pluies. Un mix avec p.ex. de l’hydraulique à accumulation (sans pompage) est donc nécessaire.

Discussion

L’exemple traité ci-dessus est simpliste mais révélateur. Il faudrait le multiplier par 68 pour l’appliquer à une Suisse refermée sur elle-même (consommation en 2013).

La mise en place de stratégie uniquement orientée vers l’autonomie énergétique à base d’éolien, de photovoltaïque et d’hydraulique, sans apport de carburants ou de matière fissile, demande que soient construites des installations de haute capacité nominale qui seront très mal utilisées : 6,4 fois la consommation nominale pour la génération et 4,7 fois pour le pompage

Selon la manière de calculer (malices politiques comprises) le coût de production au kWh serait de 3 à 6 fois plus élevé que le prix spot européen actuel.

Écrêter toute la production d’une Suisse devenu autonome par pompage-turbinage est physiquement impensable dans la géographie du pays : environ 18 GW de puissance de pompage à installer dans nos montagne, soit 1,5 fois l’ensemble de la capacité hydroélectrique actuelle du pays.

Avec un objectif plus modeste de se fournir en éolien et photovoltaïque pour seulement un quart des besoins, la faisabilité s’améliore mais non la base des coûts d’investissement et les conséquences sur les prix pour le consommateur.

Conclusion

  • Le problème de l’écrêtage des énergies intermittentes n’est pas résolu par le pompage-turbinage, ni par d’autres techniques, toutes moins au point et plus coûteuses. Seule une petite partie du mix énergétique peut être compensé par le peu d’installations qui existent ou peuvent être construites en Suisse.
  • La justification initiale des installations de pompage-turbinage résidait dans le différentiel entre le prix du MWh en période de pointe et celui des périodes de faible demande. Or depuis que l’Allemagne a massivement investi dans le photovoltaïque les capacités disponibles au milieu de la journée sont abondantes et les prix de pointe ont chuté en conséquence, détruisant le modèle économique de ce pompage-turbinage. Les millions investis ou en train d’être fièrement investis sont maintenant orphelins, la transition énergétique doit venir à la rescousse.
  • La transition énergétique est génératrice d’investissements surdimensionnés et non rentables.
  • Il faut une cause d’ordre supérieur pour justifier les pénalités qu’elle impose à l’économie et le risque d’en faire pâtir la compétitivité internationale.
  • Ce qui est allégué est la nécessité de réduire les émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère, ce que la Suisse ne fait pas car elle n’a presque pas de production d’électricité thermique. Par ailleurs cet impératif est plus que douteux et en aucun cas urgent. Il pourrait aussi être réalisé par la continuation et l’extension des capacités de production nucléaire (dont le facteur de charge est de l’ordre de 90%).
  • C’est donc sur la seule opposition au nucléaire que se fonde cette transition : par crainte de catastrophes (alors que les barrages, eux, ne céderont jamais…), et du problème que pose la gestion des déchets radioactifs. Or la dernière votation populaire à ce sujet a eu lieu en 2003, résultant nettement par le refus (par 66.3%) de la sortie du nucléaire et (par 58.4%) de la prolongation du moratoire de construction qui était en cours.La voie maintenant décidée par le Conseil fédéral est donc en contradiction avec la volonté populaire. Elle se base sur des sondages ou sur l’intime conviction des conseillers fédéraux ; dans les deux cas c’est gravement insuffisant.

    Par ailleurs si le nucléaire présente vraiment les dangers qu’on lui attribue ce n’est pas en 2025 ou 2035 qu’il faudrait éliminer ce risque mais maintenant, sans délai. Or, à part les anti-nukes habituels, personne ne propose cela. Serait-ce irresponsable ?

  • De fort corps se sont constitués qui, sans vergogne, tirent profit de ce gouffre financier et du surcoût de l’énergie que le consommateur devra payer. Car on oublie trop volontiers que là où des coûts sont engagés par les uns cela signifie des revenus pour d’autres.
  • L’ « économie » voit d’un meilleur œil 1606 millions d’investissement que seulement 94, surtout si elle n’a aucun souci de rentabilité à se faire. C’est pourquoi aucune étude de rentabilité ne se fait plus sans la biaiser par des schémas plus ou moins maffieux basé sur des taxes spéciales, des subventions ou des incitations en faveur d’opérateurs économiquement non viables, mais politiquement habiles.Après des années de résistance l’industrie électrique elle-même a baissé les bras et accepte de jouer ce jeu dangereux pour la santé économique (et mentale) du pays. Les soi-disant industries et services verts sont des fromages pour entrepreneurs malins qui se font financer en grande partie, directement ou non, par des deniers publics sans avoir besoin de justifier leur raison d’être au-delà du « il faut sauver la planète ».

Il faut arrêter ces imbécilités, mais je ne sais pas comment nager contre cet imposant flux de pensée monolithique.


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