Démagogie, populisme : où va-t-on ?

Lorsqu’un tribun politique use de la rhétorique pour convaincre ou dynamiser ses auditeurs et lorsque ce qu’il propose ne plaît pas, alors la tendance est grande de taxer son discours et ses propositions de démagogiques ou de populistes.

Cela peut être le cas, mais cela peut aussi être une incrimination dénuée de fondement. La sagesse d’un programme politique ne se mesure pas en raison inverse de sa popularité.

Churchill promettant sueur, larmes et sang a dynamisé le peuple britannique, son discours n’était pourtant pas populiste ni démagogique.

Dans quelles circonstances est-il justifié de taxer quelqu’un de populiste ou de démagogue, et par là-même de classer ses théories et son programme dans la catégorie poubelle  ?

Revenons aux définitions selon la dernière édition de l’Académie française (la 9ème, incluant la lettre P, ouf !) :

DÉMAGOGIE n. f. XVIIIe siècle. Emprunté du grec dêmagôgia, dérivé de dêmagôgos (voir Démagogue).
Péj.  1. Comportement politique fait de complaisance et de flatterie à l’égard des souhaits ou des instincts des foules, sans souci du bien général et des intérêts supérieurs d’un pays. Faire preuve de démagogie. Tomber dans la démagogie.
 2. Par anal. Attitude d’une personne qui cherche à s’attirer, par une complaisance excessive, la faveur d’un groupe.

POPULISME n. m. XXe siècle. Dérivé de populiste.
1. HIST. Mouvement de tendance socialiste, né en Russie dans les années 1860, qui rassemblait des jeunes gens, issus de l’aristocratie et de l’intelligentsia, convaincus de la nécessité d’expier un destin privilégié en « allant au peuple », c’est-à-dire à la paysannerie, pour l’éduquer et le préparer à jouer son rôle historique.
2. POLIT. Souvent péj. Attitude, comportement d’un homme ou d’un parti politique qui, contre les élites dirigeantes, se pose en défenseur du peuple et en porte-parole de ses aspirations, avançant des idées le plus souvent simplistes et démagogiques.
3. Mouvement littéraire qui se développa en France dans l’entre-deux-guerres, animé par la volonté de faire partager la condition des petites gens montrés dans leur existence quotidienne, sans faire appel aux facilités du pittoresque ou de l’intrigue romanesque. Le populisme se constitua en 1929 autour d’André Thérive et de Léon Lemonnier. Le roman d’Eugène Dabit « Hôtel du Nord » porte la marque du populisme.

L’avantage de telles définitions est qu’elles se suffisent à elles-mêmes. Pour notre propos nous retiendrons les deux définitions de démagogie et la deuxième de populisme car c’est de politique dont il s’agit ici.

Se poser en défenseur du peuple  et en porte-parole de ses aspirations n’a rien de mal en soi, cela doit être le but de chaque parti politique légalement actif dans un pays organisé selon des principes démocratiques[1].

Les aspects péjoratifs de démagogie et populisme sont donc à trouver dans l’inspiration de bas instincts, dans  le simplisme des idées présentées et dans le manque de souci du bien général et des intérêts supérieurs du pays. Ce que l’Académie ne dit hélas pas c’est la limite entre simpliste (« qui est simple avec excès, qui simplifie outre mesure »)  et adéquat, et ce que sont bien général et intérêts supérieurs.

Il faut alors chercher à établir des critères.

  • Lorsque le tribun promet de raser gratis il est démagogue.
    Toute promesse intenable est démagogique. Elle ne lie que celui qui la croit.
  • Lorsque le coupable d’une situation est si vite désigné que l’on n’est manifestement pas en mesure de le démontrer on est populiste, et éventuellement calomniateur.
  • Lorsque ce coupable est systématiquement désigné en dehors du groupe – l’étranger, les autres –  afin de donner l’absolution au groupe.
  • Avoir comme leitmotiv d’incriminer des cohortes indéfinies de tous le maux  – les riches, la finance, les ‘istes de tous bords – n’est même plus du populisme et de la démagogie, c’est devenu du politiquement correct paré des plumes du courage civique.
  • Lorsqu’une action politique est proposée sans que les conditions de mise en œuvre ne soient abordées – car vraisemblablement impossible, ou trop dangereuse à réaliser, ou ayant des effets négatifs importants – cette simplification rend populiste cette proposition.
  • Lorsqu’à l’envi les problèmes sont décrits et l’inanité des gouvernants en place dénoncée sans que des solutions ne soient vraiment proposées alors c’est le fonds de commerce du populisme protestataire qui fonctionne.
  • Et si la solution proposée ne contribue pas à résoudre le problème il y a là le populisme de l’enfumage.
  • Lorsqu’est décrié comme insoutenable tout compromis ou accord trouvé entre plusieurs partis il y a toujours du populisme agrémenté de théorie du complot.
  • Lorsque la loyauté tribale est exigée. Traitre sera celui qui n’est pas avec la tribu.
  • Lorsque sans nuance une communauté est désignée comme dérangeante, voire criminelle, alors on est au-delà de démagogie et populisme, on tombe dans le fascisme.
  • Lorsque la bénédiction d’un dieu est proclamée pour massacrer un ennemi on atteint le sommet de l’ignominie (et encore plus déraisonnablement illogique si cet adversaire est adepte de la même religion).

Des cas récents de la vie politique permettent de cerner ces choses de manière plus concrète.

Proposer en France de sortir de la zone euro, de dévaluer la nouvelle monnaie et de contrôler les frontières afin que ne passent que les bonnes personnes, les bons biens et services et les bons capitaux est une chose. Si l’on n’est pas en mesure d’expliquer comment cela se fait et quels dommages « collatéraux » doivent être acceptés on aura raison de taxer ça de populiste.

Prétendre résoudre les problèmes sociaux – réels – liés à l’intégration de populations allogènes par la limitation de l’immigration est similaire à fermer le robinet d’une baignoire dans laquelle les eaux sont déjà troubles depuis longtemps, cela ne résout pas le problème de la vie en commun dans le pays mais c’est populaire. Et prétendre que tous les individus superflus, inadaptés et autres trublions seront  renvoyés là d’où ils viennent est une imposture.

Promettre de ne pas diminuer les dépenses de l’état et de distribuer une somme mensuelle à presque tous sans lever de nouveaux impôts est le comble de la farce politique.

Les trois exemples ci-dessus sont des éléments clés du programme du Front National. Ils sont tous démagogiques et populistes. Les problèmes sont nommés, le diagnostic est plus ou moins mal fait et les thérapies proposées sont pires que le mal qu’elles devraient traiter. Pourtant ça emporte l’adhésion de 20 à 30% des Français alors que ce peuple se targue d’être cartésien. Y-a-t-il dans une fraction de population un gène qui, comme l’addiction à certaines substances, rend quelqu’un volontairement victime de ces promesses intenables ?

En Suisse on est en train de refaire le match de la votation du 9 février sur l’immigration, alors que le débat devrait être clos. Mais ce cas est intéressant pour la présente analyse.

Prétendre qu’il n’y a qu’à réintroduire des quotas pour résoudre les problèmes d’immigration est d’un énorme simplisme, surtout si l’on fait bien attention de ne pas révéler comment un contingentement devrait être mis en œuvre, selon quels critères d’origine, de secteur économique, de géographie, etc. Ça c’est du populisme qu’il faut démontrer et démonter, ce que n’a pas réussi aux opposants à l’initiative.

Ou alors désigner l’Union européenne, surtout la Commission à Bruxelles, comme la cause de tous les maux est trompeur. Ou systématiquement blâmer l’incompétence du Conseil fédéral dans son ensemble et de chacun des Conseillers fédéraux (sauf un) en particulier, cela satisfait les instincts du peuple qui se méfie des élites et des institutions. On le brosse ainsi dans le sens du poil. Mais, comme Tartarin de Tarascon, on sent déjà que tuer le lion ne va pas être si aisé que ça et que le courage pourrait manquer. Souligner cela au lendemain de la votation n’est pas revanchard, c’est souligner le principe de réalité qui dit que l’on ne négocie pas unilatéralement et que l’on n’est pas malin dans la critique injustifiée.

Jouer sur les craintes marche aussi très bien. La femme et l’homme (la souris et l’oiseau aussi) étant programmés pour être alertes aux dangers il suffit de laisser entendre que le malheur des autres pourrait arriver chez soi pour engendrer un stress intolérable. Les métèques qu’on peut voir aux alentours de la gare de Zurich pourraient envahir Appenzell, il faut faire quelque chose ! Se non è vero, è ben trovato !

Avec des crânes aussi durs que le granite alpin les membres de l’ASIN/AUNS prônent une Suisse forte, indépendante, et maîtresse chez elle. Il n’y a pas de mal à cela. Mais là où ça commence à faire problème c’est que, lorsque niant la réalité du cosmopolitisme des habitants des régions urbaines, de leur connaissance et appréciation de l’étranger et de leur confiance en un monde devenu village global, ils s’obstinent avec une image d’une Suisse bucolique et intangible, mythe à préserver à tout prix. Ils tombent alors dans un populisme assez niais.

Dans l’exercice des droits populaires la Suisse prend des risques avec sa démocratie directe.  Lorsqu’il faut sanctionner un objet de « Sachpolitik », approuver ou non le financement du rail, ratifier ou non un traité, la décision se fait à l’aune du bilan que chacun établit autour de la question posée. Mais lorsque le texte proposé est vague quant à sa réalisation, évasif quant aux coûts et désavantages qu’il engendrera, alors l’acceptation d’une proposition de type populiste met une grosse pierre dans le jardin confédéral. Ainsi par exemple la « loi Weber » sur les résidences secondaires n’est applicable qu’en s’en prenant à la liberté fondamentale de la propriété, pourtant garantie par la Constitution ; ou le renvoi des étrangers criminels qui doit faire l’objet d’un deuxième vote pour en préciser le périmètre. On ne peut s’empêcher de voir l’intérêt des initiants de ne pas se prononcer sur les modalités d’application avant d’obtenir un oui résultant plus d’un instinct (« sauver les Alpes ») que d’une mise en balance des avantages, inconvénients, contradictions et de la faisabilité de la proposition.  C’est malhonnête mais ça marche.

Mais que l’on soit bien clair : il vaut mieux prendre le risque d’exercer le droit de référendum populaire plutôt que d’essayer de le brider. La démocratie n’est pas un dogme transcendant, c’est une manière de s’organiser et de prendre des décisions qui ne vaudront que le temps qu’il faut pour en prendre d’autres.  Il a fallu plusieurs votes pour accorder le droit de vote aux femmes ou pour entrer à l’ONU ; le oui du 9 février dernier est le premier dans le domaine de l’immigration après plus de quarante ans où de multiples initiatives dans ce sens ont toutes été rejetées. Rien n’est définitif, toute remise en question est possible à la lumière d’un futur qui deviendra une autre réalité que celle qu’on aimerait anticiper.

En Suisse il est de bon ton dans les médias de taxer de populiste les membres et les sympathisants de l’UDC/SVP, en y ajoutant des qualificatifs comme xénophobe, raciste, obtus, etc.

C’est techniquement justifié dans les exemples présentés ci-dessus, mais l’est-ce toujours ?

Dans beaucoup de cas il y a exagération à le faire. Par le simplisme de leurs accusations ces journalistes montrent eux-mêmes un visage populiste. Ainsi nier ou bagatelliser l’existence de problèmes liés à l’immigration et à l’intégration de plus de 23% d’étrangers dans le pays, et accuser celui qui en parle de xénophobe est une forme de réverso-populisme[2].

Les médias en Suisse sont très majoritairement peuplés de personnes ayant des préférences politiques de gauche, voire d’extrême gauche comme le montre le passé de quelques figures connues de cette corporation. À force de se congratuler mutuellement pour la valeur de leurs opinions ils en sont arrivés à croire que l’opinion publiée par leurs soins est l’opinion publique. Ils ont, eux aussi, tendance à croire à l’universalité de leurs vues et à juger immoral de penser autrement.

Entre presse et populisme nationaliste s’opposent alors deux postures, l’une et l’autre persuadées de leur bien fondé. On ne peut reprocher à un parti d’être partisan ; on doit même tolérer des exagérations de sa part. Par contre le journaliste doit échapper à son ombre car c’est de métier et de professionnalisme dont il s’agit. Il  faut bien reconnaitre que ces clercs-là, prompts au moralisme et incapables d’autocritique, faillent régulièrement à leur mission, prennent parti sans le dire ouvertement et mènent subrepticement des campagnes tendancieuses. Lorsqu’ils jouissent d’un quasi-monopole comme à la radio et à la TV cela devient dangereux pour la santé du pays.

Il y a d’autres domaines de la politique où populisme et démagogie jouent un rôle trop prononcé. On ne parlera même pas des conflits armés où la propagande est reine. Dans l’écologie fondamentaliste le jeu de la catastrophe dont-la-seule-chose-qu’on-ne-sait-pas-est-quand-elle-va-se-réaliser-mais-c’est-pour-bientôt est un jeu très porteur bien que la forêt ne soit pas morte et que le climat n’ait pas cessé de changer sans l’aide de l’homme. La transition énergétique avec un fond d’inquiétude nucléaire et une glorification de l’origine « naturelle » des énergies alternatives est aussi un exemple de populisme post-moderne, basé sur les affects. L’application indiscriminée du principe de précaution donne cette impression réconfortante de l’action responsable, alors que l’on castre toute chance de progrès. Appeler à une meilleure gouvernance mondiale ou à une gestion alternative des choses, ça sonne bien mais reste coquilles vides et irresponsables.

Dans le domaine du commerce privé il faut aussi se rappeler que, au-delà de la présentation des caractéristiques et des avantages d’un produit, l’art de la publicité et de la communication d’entreprise est de systématiquement mettre en œuvre un populisme et une démagogie bien ciblés.

Pour que les débats et la formation de l’opinion puissent prendre de la hauteur il faut des interlocuteurs honnêtes, sans esprit de loyauté tribale aveugle, capables de ne pas être d’accord mais aussi de montrer et reconnaitre les bases de ce désaccord. Celui qui tombe dans le travers de la démagogie et du populisme a l’avantage du grossier vis-à-vis du fin, du barbare face au civilisé ; son manque de nuance le sert, mais le disqualifie aussitôt.



[1] Prétendre être dans un régime démocratique en Corées du Nord, en Arabie saoudite ou à Cuba est bien sûr un abus de langage et un abus du peuple.

[2] Ce réverso-populisme a un impact sur les gens qui répondent aux sondages et qui sous le joug du politiquement correct ont crainte de dévier de l’opinion publiée. Les instituts de sondage connaissent bien ce phénomène. Pour rester en business ils appliquent alors des « fudge factors » et se trompent à chaque fois que de tels thèmes sont abordés.


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